Petite âme
Petite âme s’éveille.
Bien au chaud dans le ventre de maman, Petite Âme entend sa voix et celle de son papa. Petite Âme essaie de bouger, donne des coups de pieds, mais l’espace ici est trop étroit, alors Petite Âme attend. Elle attend de sortir du ventre de maman pour découvrir le monde.
Elle attend ainsi neuf mois. Au bout de ces neufs mois, et lorsqu’elle se sent prête, Petite Âme décide de sortir du ventre de maman et de montrer le bout de son tout petit nez. Elle inspire : Aïe, aïe, aïe : ses poumons ! ça fait mal ! Et puis elle a froid ! Alors Petite Âme pleure. Autour d’elle, tout le monde est heureux : elle va bien.
« - Quelle belle petite fille ! entend-t-elle. Quel prénom lui avez-vous choisi ?
- Elle s’appellera Lucie ! répond la voix de maman. »
On pose Petite Âme sur le ventre de maman. Elle sent son odeur, écoute sa voix. Maman pleure de joie, maman est heureuse. Papa est là aussi. Lui aussi est ému, Petite Âme le ressent. Des mains la reprennent, la nettoient, l’emmaillottent et la redonnent à maman. Petite Âme est bien ainsi, au chaud, dans les bras de maman, elle s’endort.
Petite Âme grandit. Elle apprend d’abord, doucement, à se déplacer : en rampant d’abord, puis sur les genoux, à quatre pattes, puis elle essaie de se mettre debout et y arrive ! Elle se déplace alors sur ses deux pieds en se tenant d’abord, les mains sur la petite table du salon, ou dans celles de maman ou de papa, et elle avance prudemment. Et puis un jour, elle se décide ! Finis la table et les mains, désormais Petite Âme se déplace toute seule, debout sur ses deux pieds !
« - Bravo ma chérie ! Tu marches ! Tu y arrives ! C’est incroyable ! s’éblouit maman.
- Bravo ma puce ! C’est bien tu es une grande fille maintenant ! » la félicite papa.
Petite âme sourit : ses parents sont heureux, elle aussi.
Puis l’apprentissage se poursuit. Petite Âme essaie de parler. Les mots qu’elle entend sont difficiles à prononcer, alors elle les rebaptise. Elle leur donne un autre nom, dans son langage à elle, et maman et papa la comprennent.
Petit à petit, Petite Âme demande, répond, appelle, parvient à prononcer des mots de plus en plus difficiles et parle la même langue que papa et maman : ça y est ! Elle parle !
Elle a compris le « non » et l’emploie tout le temps :
« - Lucie, viens on mange !
- Non !
- Lucie, viens on s’habille !
- Non !
- Lucie, viens, c’est l’heure du dodo !
- Non ! »
Petite Âme a du caractère !
Petite âme grandit encore. Elle a trois ans maintenant. Elle rentre à l’école. D’un côté elle a peur, de l’autre, elle en a très envie ! Elle va rencontrer des copains, apprendre plein de choses, et comme Petite Âme est curieuse, cela lui plaît beaucoup ! La maîtresse est gentille ! Petite âme doit maintenant apprendre à respecter les règles de la classe : rester assis quand la maîtresse le demande, écouter, rester attentive, et respecter les autres.
« - On ne se tape pas !
- C’est chacun son tour !
- Tu lui as fait mal, demande lui pardon ! »
Petit à petit, Petite Âme apprend, comprend, ce qu’on lui enseigne.
Bientôt elle sait lire, puis écrire, elle apprend aussi à compter ! Petite Âme est contente devant ses progrès ! Elle est fière ! Elle aime l’école ! Elle aime apprendre ! Elle aime réussir !
Petite âme aime aussi danser. Ses parents l’inscrivent donc dans un cours de danse pour qu’elle apprenne les pas et partage sa passion avec d’autres enfants.
Petite Âme grandit encore. Elle entre à présent au collège.
A regarder le comportement des autres, elle comprend très vite qu’ici les règles sont différentes : il faut se fondre dans la masse pour être bien intégrée. Mais Petite Âme le refuse car elle juge les actions de la majorité immatures et stupides comme le fait de répondre aux professeurs sur un ton provocateur ou encore de se mettre subitement à fumer pour faire comme les grands.
Petite âme, elle, n’a pas changé : elle est toujours aussi studieuse, avec un caractère bien affirmé, et préfère rester seule ou entourée de quelques amies seulement que d’imiter les conduites des autres qui ne cessent de la choquer.
Commence alors pour elle un véritable calvaire : on se moque d’elle, de son sérieux, du respect dont elle fait preuve immanquablement aux professeurs, on la considère comme favorisée car elle obtient de bonnes notes dans toutes les matières alors que ses résultats ne sont que le fruit d’un travail acharné de sa part.
Cependant, Petite Âme s’en moque. Grâce à son caractère très affirmé, les commentaires des uns et des autres glissent sur elle comme une luge sur la neige. Elle s’en fiche, tout simplement, et prend le parti d’ignorer superbement les idiots qui se moquent d’elle et les filles qui la jalousent.
Car en effet, le corps de Petite Âme a changé. Elle n’est plus une petite fille à présent, mais une jeune femme qui avance dans la vie avec assurance, poursuivant ses buts, capable de faire ses propres choix sans avoir besoin de prendre avant l’avis de qui que ce soit.
De ce fait solitaire au collège, un peu comme une étrangère, elle se tourne vers la danse, activité dans laquelle elle parvient sans difficulté à s’inclure, partageant avec les autres une même passion et parvenant enfin à se faire comprendre et comprendre à son tour les autres.
Mais un jour, son professeur lui dit qu’elle devrait perdre un peu de poids pour être plus légère et qu’ainsi elle danserait mieux.
Petite Âme se regarde alors dans une des glaces de la salle de danse. C’est vrai que son corps a changé ! Elle regarde alors les autres, puis elle-même, les autres, puis elle-même encore : son professeur a raison : c’est vrai, les autres sont plus minces qu’elle. Elle est trop grosse.
Petite Âme décide alors de perdre du poids. Mais sans en parler à ses parents : ils ne comprendraient pas.
Pour que sa décision de maigrir passe inaperçue, au self, elle mange comme d’habitude : une petite entrée, un plat, un dessert léger…qu’elle s’empresse d’aller vomir ensuite dans les toilettes.
A la maison c’est plus compliqué : il ne faut pas que ses parents l’entendent vomir. Alors elle attend, patiemment, dans sa chambre, qu’ils s’endorment, et vomit la nuit ce qu’elle a ingéré le soir.
Elle répète ce scénario tous les jours, avec application et détermination. Son corps crie famine mais sa tête crie victoire. En effet, l’objectif qu’elle s’était fixé : perdre cinq kilos pour être plus mince, plus fine, est atteint !
Cependant, Petite Âme prend plaisir à maigrir ! Se voir ainsi fondre lui plaît énormément !
De plus la nourriture la dégoûte à présent. Et l’idée de reprendre ne serait-ce qu’un kilo l’effraie au plus haut point ! C’est même totalement inconcevable pour elle !
Alors Petite Âme continue ce rituel, chaque jour, pendant des mois. Elle continue de mincir, de maigrir à vue d’œil.
Ses parents, s’apercevant de ce changement de silhouette radical en si peu de temps comprennent alors que leur fille adorée souffre de quelque chose, mais de quoi
Ils lui posent alors pleins de questions :
« -Tout va bien au collège ?
- Oui, oui.
- Tu es sûre ? Personne ne t’embête ?
- Si mais je m’en fous, ça ne me pose pas de problème.
- Qu’est-ce qu’il se passe alors ?
- Mais rien je vous dis !
- Pourtant tu maigris à vue d’œil et tu es constamment fatiguée : cela veut bien dire que quelque chose te préoccupe !
- Non ! Je n’ai aucun problème ! »
Les parents de Petite Âme, impuissants, décident alors de se tourner vers une psychologue en pensant que peut-être, leur fille, acceptera de se livrer à une tierce personne.
Ils contraignent donc Petite Âme à se rendre à son premier rendez-vous avec cette professionnelle de santé malgré le refus catégorique de Petite Âme de la rencontrer.
- « - Tu as des problèmes ? lui demande cette dernière.
- Non ! Je n’ai aucun problème ! Je me tue à le répéter à mes parents ! Pourquoi tout le monde me pose cette question ?
- Que se passe-t-il dans ce cas ?
- Mais rien ! Rien du tout, je vous dis !
- Tes parents m’ont dit que tu faisais de la danse, cela te plaît ?
- Oui, c’est ma passion.
- Je sais que, parfois, dans cette discipline, on fait attention à son poids…
- …
- C’est ton cas ?
- …
- Alors comment tu fais ? Tu manges et tu te fais vomir ensuite ou tu ne manges pas du tout ?
- ….
- Je vois… »
- « - Votre fille est anorexique, annonce-t-elle ensuite aux parents, déconfits devant cette nouvelle.
- Mais comment…pourquoi n’a-t-on rien vu ? se demande sa mère en pleurant.
- Ne culpabilisez pas Madame, tente de la rassurer la psychologue, les jeunes qui souffrent de cette maladie, car c’en est une, font très attention à ce que personne ne le remarque…
- Mais je ne comprends pas…qu’est ce qui la fait tomber là-dedans ?
- La danse, et le désir d’avoir un corps parfait, comme souvent dans cette discipline très exigeante.
- Mais là elle n’est pas parfaite ! Elle est maigre !
- Cela commence par le désir de perdre quelques kilos puis, en voyant que ça marche, les jeunes deviennent accros à cette pratique : c’est comme une addiction si vous préférez : ils ne peuvent pas s’en empêcher. D’autant plus que l’image de leur corps est déformée dans leur esprit : ils continuent de se voir trop gros à leur goût et s’enfoncent chaque jour un peu plus dans cette spirale infernale, jusqu’à mettre leur santé en danger.
- Mais que peut-on faire ? demande alors le père, désespéré.
- Il faut la faire hospitaliser contre son gré. C’est la seule solution. »
-
Voilà comment Petite Âme se retrouve à présent enfermée à clef dans une chambre d’hôpital dans laquelle, chaque jour, à l’heure habituelle de chaque repas, une infirmière lui apporte à manger.
Mais voilà, Petite Âme, révoltée d’être enfermée ici contre son gré, décide de changer de tactique. Cette fois-ci, elle refuse tout simplement de s’alimenter, et de colère jette à terre tous les plateaux qu’on lui apporte.
Un psychiatre vient tenter de s’entretenir chaque jour avec elle mais Petite Âme reste emmurée dans son silence.
Elle a décidé d’arrêter de manger, tout simplement, et personne n’y changera rien !
Devant tant d’obstination, les médecins qui s’occupent d’elle décident alors de la mettre sous perfusion afin d’apporter à son corps les nutriments essentiels à sa survie.
Mais, dans son entêtement, Petite Âme arrache la perfusion de son bras dès qu’ils ont tourné les talons.
Le corps médical devient alors, lui aussi, impuissant face à tant de détermination.
L’anorexie peut être dangereuse, parfois même mortelle. Ils le savent.
Petite Âme, elle, n’en n’a pas conscience. La nourriture la dégoûte et elle refuse qu’on lui en administre de force par un tuyau planté dans son bras, c’est tout ! Elle ne se rend pas compte du danger dans lequel elle est en train de s’enfermer. Le psychiatre, les médecins, pourtant, ne cessent de le lui répéter, mais Petite Âme ne veut rien entendre. Elle est si fatiguée ! Elle voudrait juste qu’on la laisse dormir, se reposer.
C’est ainsi que quelques semaines plus tard, Petite Âme fermera les yeux, et s’envolera vers d’autres cieux pour rejoindre les étoiles, avant de recommencer une nouvelle vie, dans un nouveau corps, à l’intérieur d’un autre ventre d’une autre maman.
Ainsi va la vie : une âme naît, une âme part, d’un corps plus ou moins jeune ou plus ou moins vieux, puis une autre âme revit, et une autre âme s’en va, ainsi la roue de l’humanité tourne, et trouve son équilibre dans cet univers infini.
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